Audition de Madame l’administratrice générale devant la Commission emploi du PW.

Audition de Madame l’administratrice générale devant la Commission emploi du PW.

La commission emploi du 20 février dernier a vu l’audition de Mme Yerna, en sa qualité de nouvelle administratrice générale du Forem (compte-rendu et autres documents utiles à retrouver ici).

Cette longue audition a duré trois heures trente. Je me suis efforcé d’en extraire ce que Rabelais aurait considéré comme sa substantifique moelle.

Face aux commissaires, Mme Yerna a pu faire montre de sa maitrise de la matière et de l’administration qu’elle est appelée à diriger. Pour l’avoir rencontrée lors de diverses négociations, le contraire eût été fort surprenant.

Elle hérite d’une administration en pleine effervescence par suite des conséquences de l’audit réalisé par la Cour des comptes en 2020 et à la façon dont le Forem entend répondre aux critiques formulées.

Hasard du calendrier, la même séance de commission aborda, quelques heures plus tard, le 35e cahier d’observation de ladite Cour auprès du Parlement wallon. Nous y reviendrons plus bas.

On notera également que cette audition survient alors que la RTBF consacre une série d’articles à la situation de l’emploi dans le cadre de son dispositif électoral. C’est ce qui s’appelle faire d’une pierre deux coups.

Lettre de mission

Sans surprises, l’administratrice a débuté son exposé en rappelant les trois priorités fixées par sa lettre de mission :

  • Contribuer à atteindre un taux d’emploi en Wallonie de 68,7 % en 2025 contre 65,2 % en 2022 ;
  • Faire monter en compétences les chercheurs d’emploi afin de leur permettre de s’insérer sur le marché de l’emploi, mais aussi de se réorienter et de se reconvertir ;
  • Aider les entreprises et les secteurs en croissance en pénurie à recruter du personnel afin de favoriser la croissance économique wallonne.

Elle détailla ensuite les cinq axes de travail hérités, en fait, du contrat de gestion 2022 – 2027 dont vous parlions ici.

Afin de contextualiser l’enjeu, une sorte de portrait-robot du « chercheur d’emploi » wallon fut présentée. Il s’agit d’un homme (52 %), 20 % à moins de 25 ans et 24 % plus de 50 ans. 42 % ont au maximum un CESS. 43 % sont inoccupés depuis deux ans et plus.

Notons tout de même que sur un nombre total de 219 000 demandeurs d’emploi inoccupés (DEI), 54 % perçoivent une allocation.

Une stratégie et des KPI

De façon plus personnelle, l’administratrice a résumé sa stratégie et les objectifs du Forem en trois mots : vison, ambition et pragmatisme.

La volonté est de mobiliser les équipes et d’améliorer le contact tant avec les entreprises qu’avec les « chercheurs d’emploi ».

L’ambition se traduit à travers les objectifs fixés en 2024 :

  • 10 % des DEI accompagnés en plus en 2024 ;
  • 10 % de demandeur d’emploi formé dans les centres de compétences du Forem en plus (soit 23 650 personnes) ;
  • Positionner le Forem comme partenaire RH des entreprises avec un accroissement de 15 000 entreprises qui font appel à ses services.

Accompagnement

Pour y parvenir, elle mise sur les 1 300 conseillers (1 200 actuellement) et la dynamisation de l’adressage vers les partenaires (nous y voilà).

Que signifie « dynamiser l’adressage vers les partenaires » ? Cela signifie que le FOREm joue son rôle essentiel en partenariat avec toute une série d’acteurs. Un chercheur d’emploi de longue durée qui a des problèmes de santé, d’assuétude ne va pas pouvoir être mis dans un centre de compétences tout de suite. On ne pourra pas lui offrir des offres d’emploi tout de suite. On doit travailler avec d’autres acteurs au préalable. Nous devons encore dynamiser davantage ces partenariats et faire en sorte que nos conseillers aient le réflexe de se dire « il a des problématiques que nous ne pouvons pas résoudre telles quelles au FOREm » ou « il pourrait être mieux outillé en passant par telle ou telle ASBL, tel ou tel acteur privé dans le cadre d’un appel à projets ou dans telle ou telle structure ».

R. Yerna, Commission emploi du PW du 20/02/24.

Mais également sur la formation et la validation de compétence.

Formation

En matière de formation, on sent la nouvelle administratrice encore fort impressionnée par son expérience à la tête de l’IFAPME.

Je retiendrai tout de même la volonté de réformer la mesure PFI, la création d’une plateforme de formation (qui vise à remplacer Forma pass), la mise en place du Digital studio et des digitals factories.

Qu’est-ce que le Digital Studio ? Cela repose sur la volonté de motiver les apprentissages et d’outiller les opérateurs de formation et d’enseignement avec une offre de formation digitale, des produits interactifs de formation, pour permettre d’utiliser tout ce qui se rapporte à l’intelligence artificielle ou la réalité virtuelle dans la formation, pour motiver les apprentissages, pour augmenter aussi l’offre de formation, notamment en e-learning.

Les digitals factories sont envisagés comme des lieux proches des citoyens qui doivent permettre aux chercheurs d’emploi de venir chercher les compétences digitales.

Partenaire RH

Enfin, le Forem ambitionne une relance systématique des entreprises dormantes de son portefeuille pour comprendre les raisons qui expliquent qu’elles ne diffusent plus d’offres d’emploi par ce biais.

À côté de ces initiatives, l’ambition est d’atteindre les 200 jobs-day en 2024 et d’augmenter les opérations « coup de poing » des métiers en pénuries.

Rappelons tout de même cette citation que je tire d’un récent article de la RTBF :

L’intérêt de cette invention [les métiers en pénuries], c’est de parler d’emplois en pénurie plutôt que de pénurie d’emplois. Cela permet aussi de montrer qu’on fait quelque chose pour lutter contre le chômage, qui est une question sociale extrêmement importante. Enfin, cela participe à l’individualisation des problèmes collectifs. On demande aux gens de résoudre sur le plan personnel le problème structurel de pénurie d’emplois : si les gens n’ont pas d’emploi, il faut qu’ils travaillent leur employabilité »

Jean-François Oriane, sociologue [1].

Une administration agile

 On épinglera encore la volonté d’implanter une meilleure communication au sein de l’administration. Notamment, à travers ce que Mme Yerna a présenté comme une culture du feedback ou encore une « culture de projet transversal » pour en retenir trois éléments.

Les commissaires ont évidemment soumis l’administratrice à un flot de questions reflétant d’abord la sensibilité supposée de leur électorat respectif.

Au-delà de quelques précisions et redites consubstantielles à l’exercice, je retiendrais tout de même ce passage parmi les réponses apportées :

Mais, nous avons un réseau partenarial important dans l’accompagnement. C’est le message que je fais également passer à mes collaborateurs : nous accompagnons de manière qualitative un chercheur d’emploi à chaque fois que nous l’adressons à un partenaire qui va pouvoir répondre à ses besoins particuliers. Ces partenaires sont les CISP, les missions régionales, l’enseignement de promotion sociale, l’IFAPME, les agences intérimaires ou encore les partenaires privés qui répondent à des appels à projets.

Concernant plus spécifiquement l’adressage, l’administratrice constate que le Forem est passé de 37 000 chercheurs d’emploi adressés en 2022 à 51 000 en 2023. Elle reconnait cependant que cette amélioration ne suffit pas et évoque deux pistes pour progresser : un travail des partenaires sur leur attractivité et une semaine du partenariat.

Elle reconnait par ailleurs que le principal outil informatique du Forem — la DB Erasme — est obsolète. Ce qui complique la mise en place du dossier unique.

Un parallèle avec le rapport de la Cour des comptes

Un constat que l’on retrouve dans le rapport de la Cour des comptes.

En effet, si cette dernière note que « D’un point de vue conceptuel, l’accompagnement orienté coaching et solutions est en phase avec les recommandations formulées par la Cour des comptes. Sa mise en œuvre nécessite toutefois une refonte des processus métiers du Forem et le développement de nouveaux outils et méthodes, dont des solutions informatiques faisant appel à l’intelligence artificielle. Un des nouveaux enjeux est l’évaluation du degré d’autonomie du demandeur d’emploi et de sa proximité du travail pour déterminer la formule d’accompagnement la mieux adaptée. [2]»

Elle précise aussi « [que] le risque que le dossier électronique du demandeur d’emploi demeure en grande partie basé sur des données déclaratives reste important. »

Et souligne que sur les douze recommandations qu’elle avait formulées en 2020, une seule est réalisée et huit autres sont en cours, mais qu’il est trop tôt pour en tirer des conclusions sur la mise en œuvre.

La Cour des comptes signale que le Forem propose désormais quatre modalités d’accompagnement :

  • un accompagnement digital à distance en autonomie ;
  • un accompagnement à distance avec appui d’e-conseillers ;
  • un accompagnement en présentiel auprès d’un conseiller de référence sectoriel ;
  • un accompagnement en présentiel auprès d’un conseiller de référence en accompagnement socio-professionnel.

En conclusion.

Madame Yerna, reconnait que l’évolution de l’outil informatique prendra du temps.

D’autre part, elle confirme dans ses interventions avoir entendu les remarques concernant la charge de travail des collaborateurs du Forem et plancher sur un allègement des procédures.

Il est bien sûr trop tôt pour tirer un quelconque bilan des actions d’une personne qui est entrée en fonction à la toute fin 2023.

La PAW sera bien sûr attentive à la façon dont notre nouvelle administratrice générale envisage l’évolution d’un partenaire qu’elle n’a jamais cité durant son exposé : les ALE.

Je note qu’à plusieurs reprises elle a souhaité mettre l’accent sur les partenariats et le nécessaire travail d’équipe qui doit permettre d’aider les demandeurs d’emploi à se réinsérer le plus rapidement possible. Elle a également évoqué la nécessité de développer un climat de confiance entre les intervenants. Je ne puis que la rejoindre sur ce souhait.


[1] Voir : G. Woelfle, Pourquoi les chômeurs ne comblent pas les métiers en pénurie ? https://www.rtbf.be/article/emploi-pourquoi-les-chomeurs-ne-comblent-pas-les-metiers-en-penurie-11332611?fbclid=IwAR1I3BjHykjKfB_L18WzJ0J-qQmU9OmwkOKQh2otg_fAUyiCMUblaxm4KWA

[2] Audit CC, p. 268.

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