Les titres-services dans l’œil du cyclone

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Introduction

Un récent article du journal L’avenir[1], titré : « Le secteur des titres-services plaide pour augmenter le prix du chèque » a retenu mon attention.

Précisons d’emblée que l’article dont question est repris d’une dépêche de l’agence Belga, elle-même relayant surtout le message de M. Paul Verschueren, directeur de la branche flamande de Federgon.

Autre élément de contextualisation, contrairement à ce que laisse penser le titre, la demande, faite apparemment au nom de l’ensemble du secteur, consiste plutôt à réclamer une augmentation plus importante de la valeur de remboursement du titre à l’entreprise sans préciser qui supporterait, en première ligne, le coût de cette augmentation.

Ceci posé, la problématique de fond qui sous-tend l’article mérite qu’on s’y attarde. Le secteur des titres-services est-il rentable ?

Deux analyses ont été effectuées par Idéa Consult en 2018. L’une pour Federgon[2] et l’autre pour le gouvernement de la Région de Bruxelles capitale[3].

En juillet 2018, l’étude Idéa avait montré que, si le système créait des effets retours positifs, c’était surtout le pouvoir fédéral qui en bénéficiait alors que les coûts étaient plus à charge des Régions.

On a moins noté, à l’époque, que le rapport mettait en évidence que ce bénéfice était surtout observable à Bruxelles et en Wallonie. Les coûts étaient cependant supérieurs aux bénéfices en Flandre.[4]

Enfin, les problématiques abordées, et l’angle sous lequel elles l’étaient, épousaient la vision des membres de l’association patronale.

 

Le second s’est particulièrement intéressé à la rentabilité des entreprises activent à Bruxelles et, même si ce n’était pas son but premier, offre d’intéressantes informations concernant les trois régions.

Comparaison salaire horaire et valeur d’échange.

Graphique tiré du rapport bruxellois[5]

Et ce, décidément intéressant, rapport de conclure : « Il semblerait donc que le salaire horaire moyen augmente plus vite que la valeur d’échange d’un titre-service. En effet, de 2014 à 2017, alors que le salaire moyen augmentait de 4,1 %, la valeur d’échange d’un titre-service n’augmentait que de 2,9 %. »

Graphique tiré du rapport bruxellois [6]
Il convient de garder à l’esprit que, depuis la régionalisation, l’indexation des salaires n’est pas répercutée de la même manière dans les trois régions.

Grâce à l’action commune des représentants des employeurs — dont la PAW — et des travailleurs, et à l’écoute de la ministre Tillieux, la Région wallonne a accepté de couvrir à 100 % l’indexation des salaires et non à 70 % comme les deux autres régions.

L’indexation des salaires est répercutée différemment selon les régions.

En Flandre, cette indexation est répercutée à 70 % ;

En Wallonie, elle l’est à 100 %.

La Région bruxelloise a opté pour un mécanisme mixte. Pour bénéficier d’une indexation à 100 %, les entreprises doivent s’engager à respecter une série de critères (statut à l’engagement et charte de la diversité) et un plan triennal de formation. Finalement, le coût de ces mesures est équivalent à l’avantage procuré, mais il faut y ajouter la charge administrative.

Cependant, cette intervention ne vaut que pour les indexations et ne tient pas compte des accords professionnels intersectoriels ou sectoriels.

Nous pouvons conclure que, dans les trois régions, les recettes générées par l’activité évoluent plus lentement que les charges liées à cette dernière. Une situation qui, logiquement, met les trésoreries sous pression.

Une rentabilité fragile.

Graphique tiré du rapport bruxellois [7]
Graphique tiré du rapport Federgon [10].

Les auteurs des études Idéa avancent plusieurs hypothèses pour expliquer des différences selon la localisation du siège social des entreprises activent en région bruxelloise. Le lecteur voudra bien noter que 20 % des entreprises activent à Bruxelles enregistraient des pertes d’exploitation en 2017[8].

Il en ressort que les ASBL génèrent en moyenne moins de bénéfices que les entreprises commerciales et que, parmi celles-ci, ce sont les entreprises les plus grandes qui sont les plus rentables.

Pour expliquer les différences de rentabilité selon l’adresse du siège social de l’entreprise, le rapport évoque l’hypothèse d’économie d’échelle des entreprises spécifiquement bruxelloises. Elles peuvent réaliser plus d’économies  — notamment par des frais de déplacement moins important — du fait d’un effectif salarié plus important localisé sur la seule région.

Cette conclusion rejoint l’étude Idéa de 2015[9] qui examinait l’ensemble du secteur en Région wallonne. Les acteurs non commerciaux (comme les ALE) sont moins rentables (voir déficitaires).

Par ailleurs, il convient de nuancer ces chiffres en étant attentif à une rupture statistique en 2015 et 2016.

Graphique tiré du rapport Federgon {10]

Alors que la rentabilité moyenne baissait dans le secteur jusqu’en 2014, les courbes s’inversent en 2015 et 2016. Ce phénomène est expliqué en partie par le tax shift (survenu en 2016)[11] et par l’absorption des entreprises les plus faibles par des concurrents de plus en plus importants. Ce second élément — sans doute plus déterminant — permet une baisse des coûts induits (loyer, eau, gaz, électricité, fournitures, mais aussi optimisation de l’encadrement).

L’étude de Federgon l’omet mais une enquête du magazine Médor, mettait également en évidence le recours à des mécanismes d’ingénierie sociale et fiscale par le groupe Trixxo. Notamment, une réduction collective du temps de travail qui permettait d’importantes réduction de cotisations sociales[12].

À titre informatif, Trixxo, entreprise limbourgeoise à l’origine, issue notamment du rachat, en 2017, de Clixxs (anciennement, Trace soit l’agence d’intérim du Forem)[13] revendique 7000 salariés ce qui en fait la plus grande entreprise du secteur.

Daoust titre-service, revendique quant à lui 3500 salariés.

Home clean services déclare 1200 salariés

Un avenir assombri

De la comparaison entre les différents rapports élaborés par Idéa, et au-delà des spécificités d’approches induites par le cahier des charges des donneurs d’ordre, il ressort que la rentabilité du secteur est faible. Il n’existe pas d’étude publique récente. On peut extrapoler sur base de l’exemple bruxellois qu’à l’exception de quelques acteurs commerciaux de grandes tailles, le bénéfice par titre est inférieur à 0,50 €.

D’autre part, le secteur est confronté à une pénurie de personnel alors que les salariés en activité approchent de l’âge de la pension ou sont de plus en plus nombreux à entrer dans la catégorie des malades de longue durée.

Parallèlement, les autorités publiques n’ont de cesse d’augmenter les obligations, notamment de formation, qui pèsent sur les entreprises. La législation, déjà passablement compliquée, connait une lente, mais constante inflation ce qui impose une charge — et donc un coût — sur les entreprises croissante.

Enfin, des négociations sectorielles ont lieu en ce moment et elles pourraient aboutir à de nouvelles augmentations de la charge salariale dans le contexte d’une explosion des coûts induits.

Conclusions

À court terme, la pandémie a sans doute créé un effet d’aubaine pour les entreprises du secteur. Les mesures de soutiens des différents gouvernements, et plus particulièrement du gouvernement wallon, ont permis de stabiliser la situation financière des entreprises comme des salariés. Notamment parce que les mesures d’aides ont partiellement neutralisé le coût de l’absentéisme.

Cependant, certaines structures, notamment en ALE, ont continué à engranger des pertes en 2020 et les mesures susévoquées sont en train de s’éteindre à mesure que l’impact de la pandémie sur l’économie diminue.

Il est donc à craindre que la concentration au sein du secteur s’amplifie dans les mois qui viennent à mesure que les acteurs les plus fragiles seront mis au défi par la chute de leur trésorerie. C’est de toute façon la principale manière de combiner le fonctionnement d’un secteur basé sur le travail intensif et la diminution des salariés disponibles.

Cette dynamique permet sans doute aux autorités publiques de maintenir l’enveloppe financière dédicacée au secteur sous un apparent contrôle. Il est assez probable qu’après une nouvelle phase de consolidation au profit de quelques très grandes structures commerciales, l’implosion guette du fait d’une limite dans les possibilités d’aller plus loin dans les économies d’échelles.

Imaginer que les entreprises d’insertion wallonnes, seules, survivront relève, à mon sens, d’un discours utopique plus idéologique qu’économique.

Cela étant, il est sans doute temps, pour les ALE TS d’améliorer leurs synergies. Si elles ne veulent pas être balayées d’un champ de bataille où elles cumulent les défauts d’une rentabilité en berne et d’un soutien des pouvoirs publics inférieur à celui dont jouissent les EI.

J-M Lovinfosse

[1] In, L’avenir, 20/09/2021 ; ici

[2] Une vision à 360° sur les titres-services. Rapport final, juillet 2018, pour le compte de Federgon.

[3] Évaluation du système des titres-services pour les emplois et services de proximité en Région de Bruxelles-Capitale en 2018. Rapport final, 15 octobre 2019, à la demande du Service public régional de Bruxelles, Bruxelles Economie et Emploi Service Emploi.

[4] Une vision à 360° sur les titres-services, p 65.

[5] Id., p. 99.

[6] Id. p. 100.

[7] Id. p 96.

[8] Id. p 97.

[9] IDEA Consult (2015), Le système des titres-services examiné en détail, étude VIONA cité d’après Une vision à 360° sur les titres-services, p 49.

[10] Id. p 48.

[11] Id.

[12] L’enquête de L. Van Ginneken est à lire ici

[13] Trixxo acquiert Clixxs et crée la plus grande entreprise belge de titres-services, in Metro, 13/06/2017 ; ici

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