Le marché de service des chèques ALE à la loupe
J-M Lovinfosse
Introduction
Début d’année, le Forem a publié un appel d’offres européen concernant « un marché de services relatif au dispositif des chèques ALE en Région wallonne ». Ce marché prendra cours le 1er janvier 2023.
Compte tenu des délais et des objectifs plus ou moins clairement affichés du donneur d’ordre, les éventuels adjudicataires sauront gré de pouvoir recourir à une stratégie de projet dite « agile ».
Le Comité de gestion de la PAW s’est évidemment plongé dedans avec attention et l’enthousiasme mesuré qu’impose traditionnellement ce genre de littérature.
Le chèque dématérialisé
Le premier élément à avoir retenu notre attention fut cette phrase à l’entame du document et qui l’explicite.
« Le présent marché a pour objet l’acquisition des services suivants […] :
- La fourniture de chèques électroniques et l’impression de chèques à la demande de l’utilisateur
(selon les spécifications figurant dans le cahier spécial des charges) aux utilisateurs et aux ALE ;
- La possibilité d’une matérialisation du chèque, sur demande de l’utilisateur, conformément au décret du 27 mars 2014 relatif aux communications par voie électronique entre les usagers et les autorités publiques wallonnes ;
- La création et la mise à disposition d’outils informatiques à destination des utilisateurs, des travailleurs, des organes de paiement, des ALE et du FOREM ; »
Il s’agit bien d’un changement complet par rapport à la situation actuelle puisque, dorénavant, la norme souhaitée, c’est le chèque ALE électronique. Une démarche spécifique du bénéficiaire du service — l’utilisateur dans ce lexique très particulier lié à la mesure ALE — sera nécessaire pour continuer à utiliser un chèque papier.
La lecture de ce volumineux document, 85 pages et plusieurs addenda tout de même[1], nous apprend que la démarche consistera vraisemblablement en une case à cocher sur le formulaire annuel d’inscription.
Ce modèle hybride est justifié par la législation wallonne et son décret du 27 mars 2014 relatif aux communications par voie électronique entre les usagers et les autorités publiques wallonnes.
Il n’est cependant pas sans conséquence dès lors qu’un volume, non estimé, de chèques papiers continueront de devoir être édités… et récupérés pour être traités.
En revanche, les chèques non nominatifs demeureront sous format papier exclusivement.
Où sont les ALE ?
La question se pose donc de savoir comment faire ou, de façon plus précise, qui va se charger de ces tâches ? Une ébauche de solution semble bien se trouver dans le paragraphe suivant :
« La lecture du chèque ALE papier afin de le dématérialiser devrait en principe être réalisée par le soumissionnaire avec la collaboration éventuelle des agences locales pour l’emploi, et ce pour des prestations n’exigeant pas de la part de ces dernières, d’investissements techniques, humains, etc. impossibles ou difficilement réalisables (par exemple, elles pourront agir comme “boîtes aux lettres”).[2] »
C’est moi qui souligne, mais il était sans doute difficile de faire plus sibyllin. Une opinion partagée par les éventuels adjudicataires puisque la question du rôle que le Forem envisage effectivement de faire jouer aux ALE revient dans deux des trois addenda qui suivirent.
Bref, les ALE sont susceptibles de participer au traitement des chèques papiers mais ce sera le soumissionnaire qui devra déterminer comment et, apparemment, le Forem qui jugera de la pertinence des « investissements techniques, humains » nécessaires pour remplir cette nouvelle tâche. La seule certitude concerne la mention explicite par le FOREM que « En aucun cas les ALE ne seront en charge (sic) de la lecture des chèques (cfr point 1.3.1 du cahier spécial des charges)[3]. »
Ce qui, en revanche, ne fait pas de doute[4], c’est que les ALE auront la délicate mission d’expliquer le fonctionnement du chèque dématérialisé aux clients et aux prestataires déjà en activité en sus des nouveaux inscrits. Il peut être intéressant de s’y préparer. Une donnée qui me permet de saluer l’initiative de l’ALE de Chapelle-Lez-Herlaimont. Son ALE’D vise, justement, à épauler les personnes en froid avec les outils numériques.
Attention de ne pas aboutir à des conclusions hâtives, l’adjudicataire aura toujours bien en charge une mission d’information à l’attention des utilisateurs et des ALE[5].
Pour être complet :
Deux options sont demandées au soumissionnaire.
Dans le premier cas, le soumissionnaire remet une offre de prix s’il est le seul intervenant pour la lecture des chèques papier avec un prix plafond de 0,50€/chèque.
Dans le second cas, le soumissionnaire se charge d’installer le logiciel de gestion du flux de données auprès des différents intervenants (FOREM, etc.)
Quid des DE ?
Dans le schéma imaginé par l’administration, les demandeurs d’emplois sont appelés à pouvoir numériser eux-mêmes les chèques papiers.
Ils devront également valider, de concert avec l’utilisateur, leurs prestations… mais le document ne précise pas qui les aura préalablement encodés si ni l’utilisateur, ni le prestataire ne maitrise l’outil informatique.
Par ailleurs que se passera-t-il si des prestations ne sont pas validées par une des parties à la fin du mois ?
Aussi, la question de la pertinence de l’ALE 4 papier tel qu’il est actuellement conçu se pose. Du moins à l’attention de cette partie de notre public maitrisant les outils numériques.
Une concertation aux abonnés absents
On notera, sans plus s’en émouvoir, tant le procédé est courant, que ni la PAW, comme structure représentative, ni les ALE individuellement n’ont été sollicitées pour donner leur avis sur ce type de projet et formuler des souhaits qui auraient peut-être surpris l’administration wallonne. À l’heure où la co-création est à la mode, la manière très particulière dont les relations « partenariales » sont envisagées m’interpelle tout de même un peu.
5 millions de chèques !
Un autre aspect de ce cahier des charges a retenu mon attention.
Assez légitimement, les éventuels adjudicataires se sont émus du nombre de chèques annuels.
En effet, le prix demandé est un prix mixte, c’est-à-dire que l’édition des chèques (pour simplifier) est à prix unitaire et le soutien informatique et technique à prix forfaitaire et global.
Il est donc essentiel de pouvoir estimer le volume qui devra être traité afin d’espérer rentrer dans les investissements consentis en un temps raisonnable d’un point de vue commercial.
Bref, le chiffre de 5 millions par an pour l’ensemble de la Wallonie est évoqué.
Un nombre qui a titillé la curiosité des adjudicataires et fait l’objet d’une demande de précision.
C’est ainsi que nous apprenons deux choses.
D’abord, qu’entre 2019 et 2021, il s’est écoulé six millions huit cent mille chèques ALE répartis comme suit : deux millions six en 2019, un million neuf en 2020 et deux millions deux en 2021.
Nous sommes assez loin des cinq millions ce qui oblige le Forem à expliciter son raisonnement.
« Le nombre de chèques annoncé dans le cahier spécial des charges est de 5.000.000 annuellement. Ce montant est le résultat des projections à la hausse liées aux éléments suivants :
– Élargissement des conditions pour pouvoir travailler en ALE (nombre de demandeurs d’emploi pouvant s’inscrire dans le dispositif plus élevé) ;
– Mise en œuvre de la réforme de l’Accompagnement du demandeur d’emploi au sein du FOREM (qui amènera plus de collaboration entre les conseillers référents des demandeurs d’emploi et les ALE) ;
– Promotion du dispositif via des vidéos et autres outils de communication ;
– Attractivité du support digital, notamment pour les utilisateurs personnes morales.
En plus de ces éléments, une marge de sécurité de 20 % supplémentaire a été appliquée. [6]»
La PAW, et ses membres, se réjouit évidemment de cette belle confiance en l’avenir de la mesure ALE ici exprimée, mais je ne peux chasser une petite crainte quant aux critères repris pour la justifier.
Loin de moi l’idée de faire preuve d’une taquinerie excessive ou de méconnaitre les « obligés » de l’élaboration d’un cahier des charges, mais il faut tout de même constater que l’articulation actuelle entre les conseillers et les ALE dans le cadre de l’adressage est loin d’être un franc succès.
L’élargissement des conditions pour s’inscrire en ALE fut certes plus positive et a permis de réduire l’ampleur de la pénurie, mais ne l’a pas résolue.
Quant aux deux autres items, qu’il me soit permis de réserver mon jugement sur leur capacité à initier de nouvelles vocations.
Pourquoi faire simple…
Si je m’attarde sur cet aspect, c’est parce que je crains que la réflexion en soit toujours là au sein du Forem. Or, sans minorer les efforts faits, la PAW demeure convaincue que seule une revalorisation du travail en ALE par l’augmentation du défraiement que le prestataire peut espérer et une meilleure prise en compte, par les conseillers du Forem, de l’activité ALE pour le public spécifique de demandeurs d’emploi de longue durée pourrait débloquer la situation.
Je rappelle qu’un nombre croissant d’ALE doivent se partager le temps de travail des agents détachés et que nous sommes toujours dans l’ignorance d’un plan de recrutement apte à faire face aux départs prochains d’un certain nombre de collègues admis à la pension qui éviterait de laisser des bureaux vides durant de longs mois.
On notera que le cahier des charges reprend l’argumentaire développé par madame la ministre Morreale dans sa réponse à la question écrite de monsieur le député Bellot du 22/11/2021[7] concernant cette pénurie.
Ensuite, la proportion de chèques s’établit à un ratio approximatif de 70 % à destination de personnes morales et 30 % de personnes physiques. Un basculement qui impressionne ceux qui, comme moi, ont connu l’époque des ALE pré-titre-service.
Clairement, les ALE sont devenues un partenaire essentiel des collectivités locales et du monde associatif.
Les quotes-parts :
Pour être complet
On notera que la question des activités en Flandre est abordée comme suit :
« Par dérogation au point précédent, les utilisateurs flamands qui répondent aux conditions visées dans le protocole conclu entre la région flamande et la région wallonne dans le cadre des activités transrégionales du dispositif ALE dans les secteurs agricole et horticole peuvent s’inscrire auprès du système ALE applicable en région wallonne de langue française. Dans ce cadre les travailleurs ALE répondant aux conditions visées dans le protocole pourront effectuer des prestations en région flamande. »
La question des ALE susceptibles de recevoir les quotes-parts liées à cette activité n’est pas évoquée.
Des sanctions, toujours des sanctions.
Il s’agit d’une conséquence de l’article 79, paragraphes 12 et 13[8], dont le Forem veille à prévenir le soumissionnaire de son droit de sanctionner les ALE. L’administration insiste surtout sur son souhait de bénéficier d’une fonctionnalité spécifique afin de la faire aisément[9].
Cette attention ne se retrouve pas à l’encontre des utilisateurs indélicats bénéficiant des services d’un prestataire ALE alors que, là encore, le Forem peut être amené à intervenir statistiquement plus souvent qu’à l’encontre des ALE.
Et les OP ?
Le rôle dévolu aux OP (organismes de paiement en ce compris les CPAS) est brièvement abordé. Le flux de données ne prévoit plus que ces derniers s’occupent de la réception des chèques, mais « seulement » du paiement de ces derniers aux prestataires.
Afin de garantir la confidentialité de l’appartenance syndicale, ce flux passe par un « inter-OP » chargé de répartir les flux vers les bons destinataires.
Ils seront tout de même chargés de continuer à réceptionner les ALE 4 — papiers — dont l’utilité pratique m’échappe un peu, je l’avoue compte tenu des moyens électroniques qui seront de toute façon mis en œuvre pour valider l’inscription du prestataire dans la mesure et la réception effective des chèques par le DE.
Pour conclure
Le renouvellement du marché de service est une bonne nouvelle. Même s’il ne faut pas en exagérer la signification, il confirme la volonté wallonne de conserver l’outil ALE.
Mieux, et bien que le chiffre évoqué semble optimiste au vu de la situation actuelle, le Forem envisage une augmentation de l’activité en ALE.
Je ne puis cependant me départir du sentiment désagréable que la dématérialisation des chèques baigne dans un certain flou organisationnel et que les ALE vont devoir, dès le 1er janvier 2023 faire face à un défi communicationnel – et peut être opérationnel – d’ampleur.
Je m’interroge également sur le rôle du prestataire qui voit ses tâches administratives augmenter pour un revenu qui n’évolue pas (ce qui, compte-tenu de l’inflation, signifie qu’il régresse).
Il est regrettable que l’administration se soit peu positionnée sur le layout des chèques ALE. Non pour d’obscures raisons esthétiques mais parce que tout changement du format peut avoir des conséquences sur les machines chargées de “lire” les codes… d’ailleurs barres ou QR ?
Un réel travail partenarial entre l’administration de tutelle et les ALE, p. ex., à travers des échanges au sein de la PAW, aurait sans doute grandement aidé à améliorer le projet et facilité son adoption.
En attendant, nous ne pouvons qu’inciter nos membres à s’y préparer et à réfléchir, sur base des faibles informations en notre possession, à la meilleure manière d’accompagner cette mutation de nos procédures dans l’intérêt des prestataires comme des bénéficiaires de nos services.
[1] Ça se voit que j’insiste lourdement sur le fait de me les être coltinées attentivement ?
[2] CSC du 16/02/22 — point 1.3.1
[3] Addendum n° 1 au CSC — Q 12.
[4] Idem — Q7.
[5] CSC – point 1.1
[6] Addendum 1 — Q5.
[7] Le Parlement de Wallonie (parlement-wallonie.be)
[8] A.R. du 25.11.1991 portant réglementation du chômage (M. B. 31.12.1991), articles 79, 79bis et 79ter.
[9] CSS – point 1.1